TRIBUNE. Pour Louis Dumoulin, directeur de Nuances d’avenir, les carburants durables doivent s’accompagner d’une exemplarité des plus riches et d’une accessibilité accrue du train.
Entre l’envie irrésistible de découvrir le monde et la prise de conscience croissante des enjeux environnementaux, les Français sont tiraillés entre aspirations individuelles et défis collectifs. La saison estivale approchant à grands pas, l’association Nuances d’Avenir et ses partenaires ont réalisé un sondage qui interroge la perception des Français sur l’aviation et les alternatives pour réduire les émissions du secteur.
Les carburants durables (ou SAFs) ont le vent en poupe dans notre pays qui abrite l’une des plus puissantes industries aéronautiques, représentant plus de 4 % du PIB français, 1 000 entreprises et 250 000 salariés selon le Conseil national de l’Industrie.
Si les entreprises du secteur et le gouvernement font preuve d’un techno-optimisme assumé, comment sont réellement perçues ces alternatives du point de vue de l’opinion ? À quels défis leur déploiement se heurte-t-il ? Comment exploiter le plein potentiel de ces innovations tout en priorisant l’utilisation des ressources nécessaires à leur fabrication ?
Notre industrie est reconnue internationalement pour son expertise technique et son innovation, lui conférant de fait une responsabilité majeure dans la transition vers une aviation plus responsable. Ces innovations alimentent certains fantasmes et les Français oscillent entre espoir et scepticisme à leur sujet.
D’après l’étude, 46 % des citoyens sont confiants dans la capacité des carburants durables à réduire les émissions dues au transport aérien. Dans le même temps, un quart des sondés indiquent ne pas pouvoir juger de leur pertinence. Ces chiffres sont le reflet d’un optimisme nuancé et alimenté par des prises de parole fortes à l’instar de l’annonce, en 2023, de 2 milliards d’euros d’investissements par le président de la République pour développer ces alternatives.
Équation complexe
Une fois l’effet d’annonce passé, les Français se montrent plus méfiants sur notre capacité à déployer massivement les SAFs : 20 % pensent que nous ne disposons pas assez de terres cultivables pour produire les biocarburants nécessaires au maintien du trafic, et 18 % que l’électricité et l’hydrogène manqueront pour alimenter tous ces avions.
Là est tout l’enjeu : la production des carburants durables entre en compétition avec des secteurs clés de nos vies. La biomasse, l’hydrogène et l’électricité bas carbone sont les ressources principales nécessaires à leur production. Ces ressources dites renouvelables sont employées dans bien d’autres domaines qui eux aussi doivent organiser leur transition.
L’agriculture, d’abord, où l’arbitrage entre production énergétique et alimentaire se pose ; le bioplastique, créé à partir de biomasse ; mais aussi le transport terrestre, le textile, le BTP et la construction en général. Les exemples ne manquent pas et posent une question cruciale qui appelle au pragmatisme et à la raison : la production massive des SAFs est-elle prioritaire par rapport au maintien de l’agriculture française ou encore à l’amélioration énergétique de nos logements ?
L’équation est complexe. Les SAFs représentent bel et bien l’une des solutions à déployer. Mais ces innovations ne peuvent être envisagées comme la baguette magique qui nous permettra de maintenir un tel niveau de trafic aérien. Elles devront être complétées par l’identification de moyens visant à réduire la demande.
À l’ère de la sobriété, l’idée n’est pas de renoncer à voyager et découvrir le monde, mais de repenser notre rapport à l’aviation pour trouver un équilibre entre enjeux environnementaux, aspirations personnelles, besoins vitaux et compétitivité de notre industrie.
Exemplarité et accessibilité
Les Français ont un avis sur les moyens de réduire en partie ce trafic, et la France bénéficie d’avantages géographiques, politiques et industriels à mobiliser pour accompagner la transition. Deux leviers principaux ressortent de l’étude pour accompagner une baisse des émissions.
D’abord, une attente d’exemplarité : une plus grande participation à l’effort commun des usagers de jet privés (61 % des sondés soutiennent l’obligation d’utiliser des carburants durables pour ces jets) et l’idée que les plus privilégiés contribuent davantage (48 % pensent que les actions du gouvernement doivent se focaliser sur ceux qui volent le plus) obtiennent un certain soutien. Ces dernières seraient des mesures jugées plutôt efficaces, tout en évitant de se heurter frontalement aux libertés individuelles et en respectant une certaine équité.
Ensuite, la revalorisation du train – tant dans l’imaginaire que dans son accessibilité – est également un levier à mobiliser : 62 % des citoyens jugent que le ferroviaire devrait bénéficier d’avantages fiscaux par rapport à l’avion et 72 % pensent qu’un équilibre des coûts des billets serait une solution efficace pour accélérer sur la transition.
Le réseau ferroviaire et notre situation géographique sont des atouts majeurs pour inciter à redécouvrir la beauté et la richesse de destinations moins lointaines. Sur le même thème, la réglementation française visant à supprimer les vols internes lorsqu’une alternative existe est reconnue comme une bonne idée (à 65 %), jugée juste (71 %) par la population, à la condition que ces alternatives soient viables et que l’industrie ferroviaire fasse sa part pour accompagner ces changements.
Sans minimiser notre capacité d’adaptation et d’innovation, et en conservant un certain optimisme lié à la technologie, ces questions de fond doivent être posées sans idéologie. Une discussion entre les industriels de la mobilité, les citoyens, les représentants de la société civile et les décideurs français nous permettra d’arbitrer sur les priorités à donner et l’équilibre à trouver, pour concilier durablement les problématiques économiques, sociales et environnementales.
Ce dialogue et la compréhension des aspirations des Français semblent être les conditions sine qua non pour embarquer le plus grand nombre et ainsi, dépolariser l’épineuse question de la protection du bien commun.