Le président de l’association Nuances d’Avenir, Louis Dumoulin, craint de voir émerger un mouvement rural contestataire en France. Il invite les candidats aux élections européennes à imaginer des solutions écologiques pérennes avec ceux qui nous nourrissent.

A quelques mois des élections européennes, l’émergence de mouvements populistes sur les enjeux climatiques doit être regardée en face. C’est particulièrement le cas sur la transition agricole, qui va devoir prendre en compte l’histoire de la France et le pouvoir de mobilisation des agriculteurs pour éviter de susciter une fronde du monde rural. L’histoire récente nous le montre : penser la transition en dépit des acteurs de terrain peut se révéler gravement contre-productif.

L’agriculture est le deuxième secteur émettant le plus de CO2 en France, et bien sûr il est nécessaire de réduire ces émissions en changeant et adaptant certaines pratiques. Mais l’agriculture n’est pas un secteur comme un autre : ne pas prendre en compte ses enjeux spécifiques nous expose au risque d’imposer des régulations générant la colère de ses acteurs, sans qui rien ne sera possible. Exposé à de multiples défis en termes économiques, de renouvellement de population, d’adaptation face aux épisodes météorologiques, ce monde agricole doit être guidé par une action climatique conciliant la nécessité d’une réduction des émissions et la prise en compte de la réalité du métier.

RÉCONCILIER LE MONDE RURAL ET ÉCOLOGIE

La transition doit être aussi rapide que possible, mais l’organiser sans y associer les acteurs du monde rural peut donner lieu à réactions allant jusqu’au rejet de toute forme de dialogue environnemental. C’est ce qu’on a pu observer aux Pays-Bas ces dernières années. En 2019 est né le parti BBB (ou « mouvement agriculteur citoyen ») suite à une contestation des injonctions de Bruxelles et du gouvernement pour réduire drastiquement les émissions du secteur agricole : réduction du cheptel, fermeture d’exploitations, rachats contraints de terres…

L’engouement ne se fait pas attendre : le parti populiste se revendiquant de la ruralité est désormais le mieux représenté au Sénat néerlandais (16 sièges sur 75) et ancre son récit sur le rejet du système en place, le manque de considération des populations rurales et une critique des politiques climatiques européennes.

« Le parti populiste se revendiquant de la ruralité est le mieux représenté au Sénat néerlandais »

Le Pacte Vert européen est malheureusement un candidat idéal pour nourrir ces critiques. En imposant des quotas et restrictions à une telle échelle, il est aisé d’imaginer les réactions du monde agricole et l’opportunité pour des mouvements comme le BBB d’en faire un outil de recrutement. Sans parler du fond, c’est le manque de pédagogie des réglementations européennes qui participe à cristalliser cette colère.

Les contextes diffèrent d’un pays à l’autre, mais on ne doit pas exclure l’émergence prochaine de ce type de formation en France. Débats houleux sur les pesticides, l’eau, la chasse, réduction des cheptels prônée dans le rapport de la Cour des comptes, montée d’une écologie radicale ciblant des installations agricoles, accaparement politique de l’action climatique, polarisation grandissante des élus traitant du sujet : autant de munitions pour alimenter la création d’un mouvement de cette nature. Cela rendrait le travail de lutte contre le changement climatique encore plus complexe qu’il ne l’est déjà. Ces signaux doivent être écoutés et analysés pour éviter que l’opportunisme populiste ne l’emporte.

QUELLES SOLUTIONS ?

Plusieurs pistes sont à envisager. Par exemple, il est essentiel de montrer que la transition ne peut pas être une approche unique et uniforme. Les conditions varient selon les régions, les types de cultures, ou encore les défis environnementaux posés. Il est primordial d’agir à des échelons locaux, en encourageant les initiatives adaptées à ces spécificités. Alors les décisions, trouvées en collaboration avec les agriculteurs, pourront prendre en compte les particularités géographiques, climatiques et économiques de chaque territoire, favorisant ainsi une transition mieux acceptée par les acteurs concernés.

« Appliquons un principe de subsidiarité aux politiques écologiques»

La transition écologique de l’agriculture ne doit pas être pensée de manière uniquement descendante, mais élaborée de manière ascendante, en prenant en compte les perspectives et les besoins de l’ensemble du monde agricole. C’est ce à quoi s’applique une partie du mouvement climat, en tentant de sortir des clivages historiques et en dialoguant avec des acteurs de toutes tailles, de tous bords.

Les solutions pour lutter contre le changement climatique peuvent, dans certains cas, être définies par tous les acteurs directement impactés localement. Donnons ce pouvoir à l’échelon local et appliquons un principe de subsidiarité lorsque cela est possible afin d’identifier les mesures les plus justes. Cela ne permettra pas toujours de respecter les échéances uniformément décidées à Bruxelles, mais aboutira à l’adoption de solutions partagées, durables, et générant moins de rejet.

POLARISATION : UN FREIN À L’ACTION CLIMATIQUE

L’accaparement des thématiques environnementales par la gauche – la droite étant coresponsable puisqu’incapable de structurer une pensée sur le sujet – polarise les débats et crée du rejet, notamment au sein d’une grande partie du monde agricole. L’émergence d’un écologisme plus pragmatique semble alors être une nécessité pour équilibrer les discussions et faire de la protection de l’environnement une cause sociétale, transcendant les bords politiques. Dès lors qu’on fait s’affronter plusieurs visions (allant toutes dans le sens des constats du GIEC et d’une réduction des émissions), on crée la possibilité d’un véritable débat où chaque citoyen peut se sentir représenté et donc écouté.

La valorisation des échelons locaux, la structuration d’une pensée écologiste plus conservatrice et pragmatique et l’inclusion systématique des acteurs du monde rural peuvent être des pistes pour éviter l’émergence d’un BBB à la française. Le tout sera de savoir quels acteurs politiques auront le courage de porter cette vision, en faisant du climat la colonne vertébrale de leur action et non pas juste un prétexte pour cocher la case désormais obligatoire de l’écologie.

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